Le Voleur quantique by Hannu Rajaniemi

Auteur:Hannu Rajaniemi [Rajaniemi, Hannu]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science-Fiction
Éditeur: Bragelonne
Publié: 2010-01-15T00:00:00+00:00

10

LE VOLEUR ET LE DEUXIÈME PREMIER RENDEZ-VOUS

Raymonde déjeune près du terrain de jeu ; c’est là que nous nous rencontrons à nouveau pour la première fois. Elle étudie des partitions musicales étalées sur ses genoux et sur le banc, tout en dévorant une pomme avec une étrange férocité.

— Excusez-moi, lui dis-je.

Elle vient là tous les jours, son repas dans un sac de prématière, et mange en vitesse comme si elle se sentait coupable de s’accorder un moment de tranquillité. Son regard passe sur les enfants qui jouent aux petits singes sur les structures d’escalade tandis que les plus jeunes s’amusent dans le bac à sable avec leurs jouets synthbio. Assise au bord du banc, elle croise et décroise ses longues jambes, toujours prête à partir.

Raymonde fronce les sourcils en levant les yeux vers moi. Sa gevulot à peine entrouverte dévoile l’air grincheux qui barre son visage altier ; elle ne m’en paraît que plus belle.

— Oui ?

Nous échangeons une brève salutation gevulot. L’outil des pirates cherche une faille, mais revient bredouille. Pour l’instant.

Perhonen et moi avons passé des heures à guetter son apparition dans l’exomémoire publique, jusqu’à tomber sur le souvenir éclatant d’une jeune femme en chemisier et jupe crème, traversant une agora d’un pas décidé. À la différence de nombreux Martiens, qui se composent une expression neutre en zone publique, Raymonde s’affichait grave et pensive.

La veille, dissimulé sous un autre visage, j’ai dérobé l’une de ses partitions. Aujourd’hui, je la lui rends.

— Je crois que ceci vous appartient.

— Merci…, marmonne-t-elle en récupérant la feuille d’un geste hésitant.

— Je l’ai trouvée par terre. Vous avez dû la laisser tomber hier.

— J’en ai de la chance.

Raymonde ne baisse pas sa garde : la gevulot ne révèle même pas son nom, et si je ne connaissais pas déjà son visage, je l’oublierais à la fin de la conversation.

Elle habite près du Quartier Rouge, travaille dans la musique. Sa vie ne présente aucune aspérité, de même que sa garde-robe, simple et classique. J’ai du mal à associer tout ça au sourire de la photo. Mais vingt ans, c’est long. Peut-être a-t-elle connu récemment une phase de Silence : beaucoup de jeunes Martiens en ressortent avec un besoin fébrile d’économiser leur Temps.

— C’est vraiment excellent.

— Pardon ?

— La musique. Comme la partition est analogique, je n’ai pas pu m’empêcher d’y jeter un coup d’œil.

J’offre un bout de gevulot supplémentaire. Elle accepte. Bingo.

— Je m’appelle Raoul. Excusez-moi encore de vous déranger, mais cela faisait longtemps que je cherchais un prétexte pour vous aborder.

— Ça ne marchera jamais, murmure Perhonen.

— Bien sûr que si. Les femmes adorent les belles histoires. Un mystérieux inconnu rencontré dans un parc ? Elle est déjà sous le charme.

— Eh bien je suis contente que vous ayez fini par en trouver un.

À son tour de lâcher une bribe de gevulot : un petit ami. Ouille. Cependant, rien ne prouve que ce soit un réel problème.

— C’est une commande ? (Encore un petit bloc de gevulot.) Désolé, je ne veux pas donner l’impression de vous tirer les vers du nez.

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